« L’inspiration! Si je crois à l’inspiration? Mais bien sûr! Je crois que tous les hommes sont inspirés. Ça s’appelle intuition. Ça s’appelle tentation. Ça dépend de la personne qui inspire ». Vincent La Soudière
Le temps de confinement est aussi un temps d’expérimentation, de liberté sous contrainte imposée par la vie. Sur cette vidéo YouTube, je lis ma nouvelle « Rageusement« , précédée d’une introduction de Stéphanie Pahud. Déclenchée par la sensation de reconnaissance émise par l’oeuvre « C’est à la Nuit de briser la nuit » de Vincent La Soudière (1939-1993), notre alliance amicale a donné lieu à une co-création chairissante autour des mots, du corps et des coeurs. Avec les interventions de Dalida et de Cyrano de Bergerac.
« Je ne demande plus qu’on me comprenne, mais seulement qu’on me reconnaisse comme corps. C’est bien suffisant ; c’est beaucoup déjà ; c’est peut-être tout… »
« Ecris, ECRIS fidèlement, rageusement, amoureusement, et dans ta nuit ».
Vincent La Soudière, « C’est à la nuit de briser la nuit »
Tous les écrivains, les linguistes, les chroniqueurs, les enquêteurs, les poètes et les amoureux se sont exclamés un jour : « Je ne crois plus aux mots. Les mots trompent. » Ils avaient cru maîtriser leur vie en maîtrisant l’orthographe et l’oxymore. Ils s’étaient raccrochés à des trapèzes rhétoriques pour se balancer à travers les relations humaines et s’étaient pris un vent (de face). Ou ils avaient dû lâcher prise, rebondissant dans le filet de sécurité de formules plus policées, s’écrasant parfois avec le château de cartes de leurs constructions alambiquées.
Je lui ai écrit de jolies choses et il m’a dit : « Ne sois pas trop déçue que je n’y réponde pas avec le même élan. Je ne crois plus aux mots. Désormais, je veux être dans le corps », a-t-il ajouté, la main sur son ventre, et un regard qui signifiait plus bas. Puis il a glissé sa main entre mes genoux et je n’ai plus eu besoin d’être déçue. Son contact me ravit, me rassure plus que des pages sur terre et des paroles en l’air. Et pourtant. Je le regarde, il est beau. Il a ce charme décadent des dandys torturés. Tant qu’il ne me torture pas…
Est-ce que, moi, je peux y croire encore, aux je t’aimequi veulent surtout dire sois sage, oh ma douce, et tiens-toi plus tranquille !, à ces mots qui s’essoufflent à la première accalmie, qui ne sont plus que des ronds dans l’eau qui ne font plus rien avancer ? Ta gueule, la carpe, carpe your f***ing diem toi-même. Point de lendemain, on a soupé.
Je me calme et le regarde encore. Le bleu acier de ses yeux pénètre dans le fourreau de mon être. Mon amour. Qui es-tu, toi ? Tu permets que je t’appelle mon amour ? Je suis heureuse auprès de ton corps qui es toi. Je vais écrire et t’aimer parce que c’est ce que je fais de mieux. C’est ma place. Je ne veux me laisser amputer ni de l’un ni de l’autre. Tu es libre d’explorer les tréfonds de ton âme, d’emprunter une voie de mon corps, de délaisser les chorales patriarcales de l’ancien monde, d’aller vraiment au fond du gouffre, de remonter, de reprendre ta respiration d’entre mes cuisses. N’est-ce pas toi qui parlais d’unité ? C’est ce que je veux, moi. Je veux tout. Le corps les mots. L’amour la poésie. Ce que tu appelles ma gentillesse ne m’appauvrit pas. Je ne t’ai rien donné que tu ne m’aies redonné. Notre énergie vibre et circule et je n’ai pas besoin d’avoir fait Temple du Soleil pour le savoir.
Et puis il y a eu des interférences sur la fréquence. Des blocages de courage.
Quand il y a eu des fritures sur la ligne, quand j’ai redouté ton rejet, je me suis remise à écrire pour calmer ma peur. J’ai transformé mes couacs narcissiques en haïkus dithyrambiques.
Tu n’as pas été insensible à leur pouvoir évocatoire. Et pourtant, on sait depuis longtemps que ce ne sont pas les mots seuls qui meuvent et émeuvent. Roxane aurait été flattée, un temps, par les hommages de Cyrano à visage découvert. Puis ils lui seraient devenus fâcheux. Tous ces mots, trop de mots ! Mais, voyez donc comme il me harcèle ! A l’aube de la mort, il est bien aisé de se débarrasser de l’encombrante carcasse pour s’illusionner d’un amour éthéré, plus vertueux parce que transcendant. Mais en pleine vie ? Ce n’est qu’incarnés dans la musculature harmonieuse et les traits réguliers de Christian que les « Parole, parole, parole, parole, parole, Encore des paroles que tu sèmes au vent » prennent sens pour elle. Et corps. Cyrano le sait, c’est son drame.
Roxane.
Mais l’esprit ?…
Cyrano.
Je le hais, dans l’amour ! C’est un crime
Lorsqu’on aime de trop prolonger cette escrime !
Le moment vient d’ailleurs inévitablement,
— Et je plains ceux pour qui ne vient pas ce moment ! —
Où nous sentons qu’en nous une amour noble existe
Que chaque joli mot que nous disons rend triste !
Roxane.
Eh bien ! si ce moment est venu pour nous deux,
Quels mots me direz-vous ?
Cyrano.
Tous ceux, tous ceux, tous ceux
Qui me viendront, je vais vous les jeter, en touffe,
Sans les mettre en bouquets : je vous aime, j’étouffe,
Je t’aime, je suis fou, je n’en peux plus, c’est trop.
Viennent ensuite l’éblouissement, le frisson, la fureur, le sacrifice, avant que Christian ne récolte le baiser-fruit. Comme l’argent, les mots ne font pas le bonheur, au mieux ils y contribuent.
Mais moi, je te jette mes mots en touffe pour que tu l’aimes, ma touffe. Ou cela ne serait-il pas parce que tu sais déjà l’aimer ? Qu’est-ce que j’en sais, moi, de la cause et du but… c’est le sens inexorable que prend une force vitale, on n’y peut rien. Nous sommes les deux rubans de ce nouvel ADN qui croît en dansant. Tu as peur de la spirale ? Tu veux freiner ? Tu veux redescendre du grand huit ? Tu peux. Saute ! Sois libre ! « La liberté est la condition de possibilité de l’amour, car sans elle l’amour ne restera qu’une chimère. » Ok, Kant parlait de la morale, qu’importe. Ok, on ne libère personne en injonctions paradoxales, qu’importe. Je sais juste que ton corps contre mon corps, c’est un entonnoir à jaillissements incontrôlés, d’éclats de bonheur, de débris du passé, de queues de comète sans plan, de projections d’avenir miroitant de leurs scintillements incertains. Ton corps, c’est l’aventure dans laquelle je me reconnais. Pas besoin de comprendre, je me connais.
Nys Vanessa