J’avais déjà eu le plaisir de chroniquer le premier volume des Enquêtes de Crystal, entretemps Pascal Houmard a sorti le troisième de la série! Voici pour rappel la présentation générale, puis un avis sur Acrostiches, dernier acte de la trilogie.
Du texte latin au roman policier, les mêmes mécanismes mentaux sont en cause a écrit George Arnaud dans la préface au fameux Meurtre de Roger Ackroyd d’Agatha Christie. Peut-être est-ce ce goût de l’imbrication logique qui a amené mon collègue d’un autre collège à écrire des romans policiers. Avec succès, puisque La Surnommeuse a paru en 2017 aux éditions Mon Village, suivi de L’Affaire Saint-Roch en 2018, et maintenant Acrostiches en 2020.
Pour se lancer dans une série policière dont on se souvienne, il faut sans doute créer un enquêteur-star qui la portera de sa personnalité et de sa sagacité particulières. La création du personnage d’Antigona Krestaj est une réussite. Commissaire d’origine kosovare, ayant grandi en Suisse avec des influences culturelles et linguistiques diverses, elle est une héroïne qui parvient à s’imposer dans le monde très masculin de la police criminelle tout en gardant ses interrogations de femme. Le monde intérieur d’Antigona est aussi prépondérant que son enquête.
Comme dans 50 Shades of Grey, la commissaire Antigona Krestaj connaît des heures plus sombres dans le 2e tome, l’Affaire Saint-Roch. La relation amoureuse qu’elle forme avec l’écrivain David Morlans, son double torturé et le seul avec qui elle se sent (com)prise, vole en éclats et est envenimée par des trahisons amicales et professionnelles qui s’entrecroisent sur fond de vengeance féminine manigancée dans un décor de liturgie catholique. L’écriture suscite l’horreur fantasmagorique en faisant surgir le sordide dans des espaces protégés, école ou église. Et comme on peut s’y attendre, la « punition divine » n’est née que de la macabre inventivité d’un esprit psychopathe qu’Antigona saura désamorcer par les arcanes de sa raison à ressorts multiples.
Dans Acrostiches, il s’agit pour le lecteur de terminer en apothéose, en s’enfonçant dans une intrigue de plus en plus complexe tout en souhaitant qu’Antigona et David accèdent à la clairvoyance sur leurs sentiments. De solitaires à solidaires, c’est un long parcours semé d’embûches. Vont-ils, à force de frotter leurs failles, réussir à vivre (le moment présent et ses lendemains qui chantent) plutôt qu’à passer sans cesse à côté du bonheur qui leur tend la main en projections et fuites interposées? Tout à coup les mots trompent et, pour Antigona dont ils constituent le principal trapèze auquel s’agripper pour survoler les épreuves, il s’agit d’un exercice de lâcher-prise, en amour comme au cours de son enquête.
Le cas – des organes humains sont disséminés dans des communes vaudoises de la même initiale dont la série forme un acrostiche visant personnellement l’enquêtrice – est à couches multiples. Le coupable se dérobe constamment mais une chose est sûre, l’ennemi est toujours plus proche qu’on ne le croit. L’ennemi peut-il même être en dehors de soi? C’est ce que suggère la référence finale au K de Dino Buzzati.
L’écriture de Pascal Houmard est foisonnante, érudite et régionalisante. Elle est à l’image de son intrigue: il propose des superpositions de plurilinguisme francophone et de sensibilités sociales, véritable labyrinthe linguistique dans lequel le lecteur peut se perdre ou trouver ses propres minotaures à affronter. Il peut également emprunter tous les jeux de mots, les énigmes et les accrocs comme tant de déambulations possibles, revenir sur ses pas, avancer plus rapidement, et faire de la lecture une expérimentation in situ des sinuosités de l’âme humaine.
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