Dans ce troisième billet inspiré par Jours tranquilles à Clichy, il sera question d’intelligence. Dans sa langue sans détours, Henry Miller oppose les deux filles en termes d’intelligence/bêtise mais on y perçoit aussi l’opposition entre l’élan vital que peut avoir une parole sur rien (elle enrichit la vie) et la stérilité assommante du jargon cultivé qui sape nos force ainsi que la constatation qu’il existe une intelligence du corps.
Henry Miller, manifestement fasciné par les femmes ayant à la fois une sexualité et une intelligence1, en a doté Nys, son personnage (auto)fictif. Sa quête tout en conquêtes ne s’est cependant jamais terminée et n’a, semble-t-il, pas mené à un graal définitif.
Que peut-on dire de « l’intelligence »? Dans toute éducation traditionnelle, l’évaluation de l’intelligence a porté sur l’acquisition de savoirs, réquisitionnant essentiellement deux compétences : verbo-linguistique et logico-mathématique. L’idée de la multiplicité de l’intelligence est beaucoup plus récente (Gardner, 1983) et celle de l’intelligence émotionnelle encore davantage (Mayer & Salovey, 1997). Le sentiment que l’école est incapable d’apprendre la confiance en soi, l’amour et la passion qui sont les fondements de la vie2 est très répandu. On en sort avec un paquet de connaissances mais qui à elles seules ne font pas sens. Sans doute qu’on néglige la part instinctive, celle de l’élan vital justement. L’intelligence ne peut rien sans désir.
Dans L’Evolution créatrice (1907), le philosophe Henri Bergson distingue « l’intelligence » et « l’intuition ». Si l’intelligence – réglée sur la matière – permet d’appréhender les outils pour connaître un objet, l’intuition en permet la connaissance véritable car elle s’inscrit dans la durée. L’intuition ne s’oppose pas à l’intelligence dont les données sont ressaisies mais autrement. Même si l’intuition ne peut se communiquer qu’à l’aide de l’intelligence, elle transcende les cadres clos que l’intelligence fabrique pour s’approprier le monde, et va chercher à l’intérieur de la vie une source de connaissance. D’où l’élan vital, qui, lorsqu’il se sublime, peut susciter les jaillissements créateurs qui sont à l’origine des grandes créations, spirituelles et morales, et du mysticisme lui-même.
Tout cela pour dire que, quel que soit le sujet, il n’est jamais univoque. L’intelligence au singulier n’existe pas ou est de toute façon insuffisante. J’ai déjà utilisé dans deux articles précédents de ce blog le mot aussi mis en évidence (identité étrangère et suisse aussi, prénom précieux, papillon et pute aussi – si des lecteurs devaient l’avoir remarqué, je vous remercie au passage de me lire !). Il y a le aussi en nous tous. Personne n’est un monobloc. La conscience d’avoir des dualités, voire des syncrétismes, à accepter, à surmonter, à résoudre ou a recréer en deviendra sans doute un leitmotiv. Car, pour citer Amélie Nothomb qui, elle, a un avis définitif sur la question, il n’est d’intelligence que créatrice3.
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Il est évident qu’une femme complète qui a, à la fois, une sexualité et une intelligence, c’est difficile à accepter. Erica Jong
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Nous passons 15 ans à l’école et pas une fois on nous apprend la confiance en soi, la passion et l’amour qui sont les fondements de la vie. Albert Einstein
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Il n’est d’intelligence que créatrice. Amélie Nothomb, Péplum, 1996