
Il était une fois deux enfants nés par procréation assistée communément appelés rois. Jumeaux, Leo et Lea menaient la vie dure à leurs parents. Ils semblaient leur faire payer de les avoir sortis des limbes de l’inexistence. Pour eux, leur mère Margaret avait menti des mois pour courir les rendez-vous hormonaux chez le Dr Mégalo. Pour eux, elle avait subi les injections, les fiv, les avortements spontanés pendant que le père s’enfermait dans une attente mutique et une absence pratique. Pour eux, elle avait renoncé à sa carrière et son corps, ainsi qu’à une bonne partie de ses amis, lassés de l’éternel sujet dont il fallait parler ou pas. De toute façon, les emplois de son mari Leandro les en avaient peu à peu éloignés de sorte que les silences entre deux girlies talks s’étaient allongés sans qu’elle y prenne garde.
Son espace sonore était rempli de pleurs et de cyclées, de hurlements et d’hystéries, de dinosaures meuglants, de petites voitures vrombissantes, de sonneries stridentes, de consoles connectées, de dessins animés perpétuels. Son espace vital était jonché de papier, de peinture, de plastique. Son espace mental était vide à force de lutter contre la monstruosité issue d’elle-même. Leo et Lea se battaient, s’insultaient, s’arrachaient les cheveux. Margaret dont l’éducation avait été stricte ne voulait surtout pas répéter le schéma familial ; elle permettait tout, subissait tous les outrages pour ne pas déclencher la colère de ses chers amours.
– Veux-tu encore un peu de purée, Leo ?
Pour seule réponse, le garçon catapulta la cuillérée sur sa sœur qui se mit à pousser des cris d’orfraie. Seule l’arrivée du père calmait un peu les deux chenapans qui, envoyés au lit, ne revinrent à tour de rôle qu’une ou deux fois au salon quémander l’attention.
Lassé par les soupirs de sainte de sa femme, Leandro lui dit en zappant sur les chaînes d’information :
– Ma chérie, il faut leur mettre des limites. Tu n’as qu’à regarder comment fait Super Nanny. Ce n’est pas si compliqué, regarde-moi comment je fais ! Les gros yeux et on n’en parle plus.
– Mais je suis seule avec eux toute la journée, se lamenta-t-elle. Ils ne m’aiment pas, ils sont horribles entre eux. Comment vais-je pouvoir continuer ? Je n’en peux plus.
– Tu es trop gentille, ma chérie. Il faut se faire respecter.
– J’aimerais tellement qu’ils soient plus solidaires. Je ne serai peut-être pas toujours là, j’aimerais tellement qu’ils soient amis pour la vie, qu’ils puissent toujours compter l’un sur l’autre, qu’ils sachent qu’il existe quelqu’un au monde prêt à se sacrifier pour l’autre.
– Tu es trop mélodramatique, ma chérie. Ils ne vont pas se noyer tout de suite, on y veille.
– Je vais me coucher, je suis épuisée, dit-elle dans un sourire de suppliante.
*
Le lendemain soir, le 6 janvier, Leandro rapporta une galette.
– Surprise ! lança-t-il triomphalement en agitant un emballage de boulanger étoilé, garni d’un chameau et des noms Gaspard, Melchior et Balthasar.
Leo et Lea visaient la couronne dorée, la pâte brillante, la fève promise avec avidité.
– Pour le dessert, les enfants ! A table !
Ce soir-là, Leo et Lea mangèrent leur soupe sans réchigner. Au moment, du partage de la galette, ils furent attentifs.
– Vous vous souvenez de ce que je vous ai dit ? Doucement, on ne veut pas avaler la fève.
Le feuilletage parfait et la frangipane à la fleur d’oranger ravirent tous les convives. Qui serait couronné ?
Tout à coup, Leo sentit la figurine angélique sous ses dents.
-Je l’ai, je l’ai ! cria-t-il.
– Bravo, Leo ! s’enthousiasmèrent les parents.
Calmement, Leo alla nettoyer la fève et revint avec la couronne de papier doré qu’il plaça sur la tête de sa sœur.
– C’est pour toi, Lea, je te donne ma fève et ma couronne, c’est toi la reine.
– Merci, Leo, répondit la petite fille de sa voix trainante de Minnie. Elle fit un rapide câlin à son frère avant d’aller exécuter une danse de la victoire sur le tapis du salon.
– Awww, regarde comme ils sont chous tous les deux ! dit Margaret en extase à son mari. Son sourire s’emplit de larmes. Après tant de luttes, son vœu le plus cher s’était exaucé : ses enfants avaient du cœur.
*
Les enfants se brossaient déjà les dents qu’ils furent rejoints par leur père qui leur glissa à tous les deux une petite pièce :
– Bien joué, les gars, Maman était contente ! N’exagérez pas avec la révolution demain, hein.
Émotion reproduite à partir de l’effet sur le lecteur du don de la dose de cyanure dans « La Condition humaine » de Malraux : le personnage de Katow, fait prisonnier, fait le sacrifice ultime et offre sa mort pour que d’autres que lui échappent à la torture.
©proposition d’écriture « décontextualiser et recontextualiser une émotion »: Masterclass Eric-Emmanuel Schmitt – The Artist Academy
©photo : Margouillatphotos
Excellent ! J’ai failli m’étrangler dans un spasme de rire matinal en lisant la chute de ce mélodrame familial.
C’est bon de rire le matin 🙂
Tu devrais mettre en route l’écriture d’une série télévisuelle. Tes écrits sont des scénarios et de minis courts-métrages se déroulent devant nos yeux ébahis !
On en redemande
Une lectrice assidue …
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