Phèdre, Acte I, scène 3 – revisitée

 Hippolyte quitta précipitamment la messagère, évitant la possible confrontation avec sa belle-mère. Pourquoi ne le haïrait-elle pas ? Cela lui semblait dans l’ordre des choses. 

Prise entre deux feux, Œnone s’en revint accueillir en son sein l’arrivée de sa maîtresse. Ce n’était pas la forme des grands jours. Elle semblait malade, complètement malade.  A peine fut-elle entrée dans la pièce qu’elle dut s’asseoir, défaillante. Œnone s’empressait, Phèdre souffrait :

– Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent, émit-elle d’une voix d’outre-tombe. Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire. 

Œnone lui rappela qu’elle s’était tout de même parée et maquillée pour la journée. Ignorant les lamentations, la servante renvoyait la reine à son illogisme de femme. Phèdre continuait à soliloquer son suicide :

– Soleil, je te viens voir pour la dernière fois ! 

– Quoi, l’interrompit Œnone, vous ne perdrez pas cette cruelle envie ? 

L’incantation solitaire de Phèdre se poursuivait. De quoi parlait-elle, dans quelle forêt se perdait-elle, quel char voulait-elle donc suivre ? Une folie la rongeait. Sa rougeur et ses pleurs étaient une atteinte au travail patient d’Œnone. Une nourrice qui ne nourrissait plus ne servirait plus. Leurs destins étaient liés, il fallait la secouer.

– A quel affreux dessein vous laissez-vous tenter ? De quel droit sur vous-même osez-vous attenter ? Vous offensez les dieux, vous trahissez votre époux, vous trahissez vos enfants ! Vous ne voulez quand même pas que ce fils d’une étrangère, cet Hippolyte…

– Ah, quel nom est sorti de ta bouche ? 

Éperdue, Phèdre frémissait, se tenait les mains. Elle se consumait d’une culpabilité si énorme que son sort semblait scellé : elle mourrait. Elle résista à toutes les tentatives, à tous les arguments d’Œnone : elle mourrait. Mais Œnone ne lâchait pas et le brasier qui ravageait Phèdre de l’intérieur finit par se transformer en petite flamme indécise. Œnone saisit sa chance :

– Parlez : je vous écoute.

Phèdre reprit son monologue. Elle ne savait par où commencer, divaguait, évoqua Vénus, sa mère, sa sœur, les femmes de sa vie toujours blessantes ou blessées par l’amour. Œnone crut comprendre :

– Aimez-vous ?

Il n’y avait plus d’échappatoire. Autant prendre l’amour dans sa bouche :

– De l’amour, j’ai toutes les fureurs. J’aime… j’aime…

– Qui ?

– Tu connais ce fils de l’Amazone ?

– Hippolyte ? Grands dieux !

– C’est toi qui l’as nommé !

C’était un aveu. Une vague de terreur submergea Œnone. Quel désespoir ! Quel crime ! Quelle famille de dépravés ! Ne pouvait-elle l’éviter ? La servante sentit son sang se glacer dans ses veines tandis que la reine s’enflammait et reprenait de plus belle :

– Mon mal vient de loin. A peine étais-je mariée qu’Athènes me montra mon superbe ennemi : je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue. Je sentis tout mon corps transir et brûler. Je l’adorais… Je l’évitais… Misère ! J’ai pris la vie en haine et ma flamme en horreur ; je voulais en mourant prendre soin de ma gloire, et dérober au jour une flamme si noire. Je n’ai pu soutenir tes larmes, tes combats ; je t’ai tout avoué. Au moins, tu as fini de me faire des reproches, je peux mourir en paix. 

©proposition d’écriture « transformer un dialogue théâtral en narration »: Masterclass Eric-Emmanuel Schmitt – The Artist Academy

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