« Motherlove, maladie, mort » – pour Chairissons-n❤️us!

IMG_4887Rive-Neuve. Quand la guérison n’est plus l’horizon. On y entre et on n’en sort en principe pas vivant. On y entre pour mourir dignement parce qu’il y a la vue panoramique et que les gens sont gentils. C’est ton troisième séjour. Toi, tu résistes. Ou tu es résiliente, c’est selon.

La cuisine y est raffinée. De toute façon, tu ne peux rien manger. Quels fils te tiennent en vie ? Des tubes. Des aiguilles. Des tuyaux. Des sacs. Ta chair se retire, tes organes t’abandonnent. Ta peau a les marques qui nous angoissaient quand on était jeune et qu’on lisait Les Nuits fauves. Ici, ce n’est que jour blanc.

Tu es devenue toute petite. Je t’ai vue petit fantôme en chemise de nuit d’hôpital errant dans des couloirs kafkaïens. Je t’ai vue petit rat de l’opéra sortir cet après-midi dans ta robe fluide vieux rose et ta coiffe satinée pour ta première dehorsdepuis des mois.

Alors que tu avais eu une féminité de courbes, tu m’as tout à coup rappelé le corps menu de ma professeure de danse classique, exigeante et engagée. Je n’ai vu sa sévérité slave se liquéfier qu’une fois : elle venait d’apprendre la mort de son père et ses yeux maquillés se sont embués dans les larmes et la fumée de sa cigarette. Mais elle a repris le cours à la barre quand même.

J’ai vu ta bouche se tordre, tes pieds gonfler, tes cheveux se défaire. Ta chair fondre. Ton esprit vagabonder ou peut-être divaguer. Je t’ai vue petite fourmi industrieuse, encore. Le travail, toujours.

J’ai vu ton monde se rétrécir à ton lit. Nous t’embrassons quand nous venons te voir mais on ne peut pas serrer trop fort, il y a des corps étrangers partout. Il n’y a pas de dégoût, c’est maman.

En tentant d’exorciser ce qui t’attendait, j’ai un jour publié sur mon mur un portrait de Valentine Godé-Darel par Hodler. C’est un portrait de 1912, avant l’agonie verdâtre et sa réification de plus en plus horizontale, avant les yeux cernés, hagards, accusateurs envers le peintre qui viole sa mort. Elle avait reçu le même diagnostic que toi, un cancer à la féminité. Mais encore trois ans avant sa mort, elle est belle et droite, en majesté.

C’est ce portrait d’avant que je vais encore faire de toi, avant que je ne doive te lâcher la main. J’ai lâché tes longs cheveux bruns que je tenais en suçant mon pouce il y a longtemps. J’étais sous ton regard, sans doute un peu extension de toi au point de t’en oublier toi-même. Ton dévouement maternel, ta douceur naturelle m’étaient inatteignables, tu étais une madone à mes yeux. Tu as couvé mon enfance, cousu mes robes à paillettes, couvert quelques incartades. Ton corps était tout en rondeurs harmonieuses, il n’y avait aucune aspérité sur laquelle faire ses griffes, il n’émanait de lui que complicité et sourires.

Je t’aurais voulue à moi seule plus souvent parce que je pouvais tout te dire. Maintenant je te ménage. Tu ne me comprends plus, je sors de ton cadre de pensée, de tes schémas corporels. Je ne serai pas comme toi, tant pis, je ne t’en aime pas moins. Je suis juste enfin adulte, peut-être. Mais quand tu me sais heureuse, tu es toujours rassurée.

J’aimerais pouvoir te dire que mon ventre verra encore sourdre une nouvelle vie mais je ne peux pas te le promettre. J’aimerais te donner encore cette joie de savoir ton corps continuer en particules à travers le mien, ton humanité si douce survivre en passant à travers moi mais il sera sans doute trop tard. Cela fait déjà trois ans que tu ploies et pallies. Ne t’inquiète pas pour moi, it’s gonna be alright.

*

You’re the kindest and most cherishing girl in the world, m’a-t-elle dit quand je l’ai ramenée à sa chambre avec vue et statif de perfusion.

Elle n’avait jamais rien dit de tel et je ne suis pas convaincue de l’objectivité de ses paroles mais j’ai toujours cru au hasard objectif : c’est cet après-midi là que j’ai écrit comment je chairis ma mère et chérirai son souvenir le moment venu.

La nuit de ses doigts de fer 

A abîmé la chair

De sa rouille cruelle

Quand le temps a déposé

Son sourire familier

C’est un pas vers la poussière

 Mylène Farmer, Si vieillir m’était conté

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